(paru dans Libération le 11 août 2011
Et l’avant-garde devint officielle
Par Jean-Philippe Domecq, écrivain*
Cette année marque le centenaire de la naissance de Georges Pompidou et on peut lire, en grand sur la façade du Centre qui porte son nom: «L’art doit discuter, doit contester, doit protester.» La phrase, qu’il prononça le 11 décembre 1969 en lançant son projet d’institution culturelle, confirme que ce président était connaisseur. Comme les artistes qui le recevaient volontiers (et indépendamment de leurs différences d’opinion avec lui), il savait que l’art moderne avait sans relâche discuté les codes, contesté la tradition, protesté contre l’ordre, culturel ou autre. C’était le ressort de l’idéologie esthétique nommée avant-garde - qui sur le plan politique produisit certaines choses… Mais, lorsqu’un chef d’Etat l’édicte, c’est que la dynamique n’y est plus. Sort dévolu, du reste, à tout mot d’ordre, et l’avant-garde n’y a pas échappé. Dans l’exacte formule pompidolienne, ce n’est pas le président qui pose problème mais le verbe «devoir», qu’il a repris en toute intelligence de cause: les avant-gardes successives l’avaient tant et si bien répété, qu’à la fin ce «doit» tue les trois verbes qui le suivent. La révolte était devenue impératif catégorique; Pompidou entérinait le pompiérisme d’avant-garde. Ç’en était déjà fini de la lignée des avant-gardes libératrices qui, de l’abstraction au fauvisme jusqu’au situationnisme et la Figuration narrative en passant par le cubisme, le surréalisme ou l’action painting, avaient eu ample matière à contester. Persister, c’était reproduire, s’académiser. Pour être reconnu, il n’a plus suffi que d’afficher sa rupture. C’est ce qu’ont illustré, ce qui s’appelle illustré, les artistes français dont la reconnaissance a suivi la création du Centre Pompidou. N’est-ce pas afficher le signe et rien que le signe bientôt logo de sa petite rupture pour la rupture, que de répéter les mêmes rayures des décennies durant, tout en théorisant à l’envi qu’elles sont un moyen de contester les conditions d’exposition traditionnelles et de sortir l’art des murs: voilà Buren, qui habilement ressassa qu’il était critiqué au même titre qu’avant lui les grandes avant-gardes. Tour de passe-passe sophistique auquel se sont laissé prendre ce que Lautréamont en son temps appelait les «têtes molles». Quand un artiste nous ouvre l’œil et l’esprit, il a rompu en pensant et formant, sans le programmer. Et, autre exemple combien symbolique: le doré Pot géant de Jean-Pierre Raynaud trôna huit ans sur le parvis du Centre Pompidou!... Un Pot de jardin, cela ne s’était jamais fait, en grand; et cela fait-il assez nain comme tradition contestée, comme envergure créatrice?
Que l’art contribue à l’aménagement du territoire mental, social, aucun chef d’Etat n’y a jamais vu d’inconvénient.
* Dernier ouvrage paru: Nouvelle introduction à l’art du XXe siècle - l’Art du Contemporain est terminé, édition Pocket.

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