Newsletter, présentation à la presse
du film La Ruée vers l'art

D’une neutralité redoutable
On retrouve avec ce documentaire ce qui fait l’efficacité du genre : plus c’est neutre et plus c’est parlant.
Avec La Ruée vers l’art, Danièle Granet et Catherine Lamour nous proposent un tour des centres névralgiques du marché mondial de lart contemporain, de Bâle à Venise en passant par Dubaï, Miami, New York, etc.. La caméra montre et les micros laissent parler librement les décideurs, c’est-à-dire les plus grands collectionneurs, responsables de maisons de ventes, courtiers, marchands, directeurs de musée. Ceux-ci expliquent, à juste titre, que la géographie mondiale de l’art a changé et bascule vers l’Est et l’Orient, d’où vient l’argent. Une responsable de maison de ventes confirme quavec toutes ces nouvelles fortunes qui accourent, il faut bien fournir un «art de nouveaux riches». Un marchand sur son stand de foire énonce en souriant quévidemment telle œuvre qui vaut tant attirerait encore plus les acheteurs si on ajoutait un zéro, ou deux, ou trois. Côté grands collectionneurs qui donnent le la : Larry Gagosian (galeriste entre autres de Damien Hirst qui sest rendu fameux par ses animaux en coupe dans du formol sous plexiglas), et qui écarte les cinéastes dun «Dont touch me» qui sent son bas de soie contemporain ; François Pinault (avec Jeff Koons, toujours souriant et dont on revoit le grand Snoopy floral exposé à Versailles en 2008) répond aimablement que tout cet art exprime «langoisse, la joie, la vie».
Le signe des temps que pointe ce documentaire n’est pas tant dans la masse monétaire que draine le marché de l’art contemporain, même si elle impressionne en comparaison de l’économie dite «réelle» où le capital vient moins facilement puisque le gain y dépend de la qualité du produit. Limportant est plutôt que ce qui est exposé et acheté là nest manifestement pas important en soi. Au contraire. Plus l’œuvre est provocante, plus elle passe pour provocatrice ; plus elle en jette dans sa simplicité criarde, plus elle défie qui osera l’acheter et donc plus on la veut ; bref, plus c’est lourd et plus c’est fin. Ainsi l’œuvre, dans sa forme même, affiche que cest son prix qui est exposé, pas sa forme. Et les critiques qui cautionnèrent ces œuvres ne peuvent à présent déplorer que la finance s’en soit emparée : avec leur minimum de valeur esthétique ajoutée, elles ne pouvaient que faciliter la déconnexion entre argent investi et productivité qualitative. Il s’agit donc bien du Financial art auquel devait aboutir l’art d’entertainment, ou, pour mieux dire : de publicité du monde. Comme le prophétisait le dandy sociologue Andy Warhol, «les affaires bien conduites sont le plus grand des arts».


Jean-Philippe Domecq