Extrait de l'article sur "Sunset", de László Nemes, Positif n°697, mars 2019 :
""Sunset", le titre, rappelle que l'Histoire agit sur nous comme l'astre qui, qu'on y pense ou pas, draine nos histoires individuelles. Ainsi le crépuscule européen de 1913 baigne-t-il de son or d'incendie tout ce film, même ses scènes nocturnes ou d'intérieur, puisque les personnages, les individus qu'ils sont comme nous, n'y voient que du feu, le feu de leurs affaires et de leurs peurs que happe déjà le gouffre qu'ils ne peuvent discerner derrière l'horizon. Cette inconscience historique doublée d'un pressentiment qui tend les nerfs, László Nemes nous en fait vivre l'effet lancinant."


Feuilleton intellectuel Domecq, 2ème épisode : extrait de La Monnaie du Temps, éd. Pocket, 2018 :
…"Néanmoins, au fil du temps de ce jeu de pouvoir, le peuple s'est rendu compte que c'en est un, justement, de jeu de pouvoir : le Quatrième pouvoir soumet le pouvoir politique élu à son pouvoir non élu. Non élu et rémunéré par des groupes économiques qui n'achètent pas les médias pour qu'ils ne nous servent pas le discours idéologique qui sert leurs intérêts. Cela paraît grossier à rappeler, comme toute évidence de base, mais à la place de Bouygues et tous les créanciers nous ferions de même. Leurs journalistes disent ce que leurs créanciers veulent qu'ils disent. Ajoutons à cela une autre évidence oubliée, que « medium is message», selon la formule de Marshall McLuhan ; et on a la conjonction parfaite d'une émission d'idéologie qui domine par les moyens financiers qui l'investissent, et d'une logique professionnelle que son autoreproduction protège de toute critique, alternative ou contradiction. C'était avéré dès les années 1980 : « "Les médiateurs-journalistes ne sont plus en situation de dialogue. Ils n'ont pas de répondant. Qui en effet pourrait bien remettre en cause leurs questions et les conclusions qu'ils font circuler sous forme de "petites phrases", volatiles mais combien répétitives ? Les hommes politiques ? Évidemment non. (...) À l'égard des médias, les hommes politiques ne peuvent exercer le droit à la critique sans encourir le soupçon de censure." » (cf. La Passion du politique, 1986) Invariablement, à l'égard des critiques dont elle peut faire l'objet, la presse réagit comme une profession qui serait au-dessus des autres - une prêtrise, autrement dit. Elle n'entend que ce qu'elle veut bien entendre afin de continuer à exercer son pouvoir, et c'est ainsi qu'elle reproduit la Liberté sans choix dans laquelle elle enferme nos représentants politiques et, avec eux, nous-mêmes. Elle s'est pourtant étonnée de l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, au cours d'une campagne où il a constamment bafoué le discours médiatique mainstream. L'outrance même de sa rhétorique, la vulgarité assumée et "naturelle" de ses répliques, l'irresponsabilité politique qu'on lui reproche à juste titre, expliquent largement son élection : c'est le Fou du Roi fait roi par une opinion qui en a assez que les médias formatent son opinion et lui répètent que la politique ne peut plus rien. (...) En ce sens, le candidat Emmanuel Macron fut symbolique de ce mépris de l'intelligence civique lorsqu'il préserva le flou de son programme jusqu'à un mois avant l'élection, pour ensuite dérouler un programme qui ne pouvait que satisfaire le statu quo, lequel pouvait d'autant mieux passer que le "programme" de réformes qu'a fini par proposer Macron ne vise qu'à huiler le système. En ce sens, il a joué le jeu du modérantisme inhérent à la Liberté sans choix que dispensent les médias au service de la perpétuation de l'état des choses économiques. « "Dernier en date du conseil de communication : il faut être absolument modéré pour être absolument moderne. (…) La modération n'a jamais été qu'un ton sans préjudice de contenu, comme le centre n'a jamais été qu'une position stratégique. (...) Le propos à tenir pour être au centre et modéré dépend totalement des opinions concomitantes. Qu'est-ce qu'être modéré quand, dans les années 1930 en Allemagne, les suffrages populaires font pencher les opinions vers l'extrême droite ?" » (La Passion du politique) Exemple savoureux : depuis les trente ans qu'ont pris ces lignes, Silvio Berlusconi est commenté comme un leader "du centre droit", à présent qu'il est doublé par les autres formes de populismes que le sien… » (La Monnaie du temps, chapitre « Ce qu’il fallait faire en 2017…et qui donc reste à faire »)

Sur SUNSET, grand film de Laszlo Nemes bientôt sur les écrans, voir l'article "Le soleil couchant de l'Histoire" dans la revue POSITIF de mars.
Feuilleton intellectuel Domecq, 1èr épisode : "MÉDIACRATIE" - extrait de La Monnaie du temps (2018, éd. Pocket), avec citation d'idées énoncées en 1986 dans la Passion du politique, éd. du Seuil : 
"Inutile donc que la presse pousse d'emblée des cris d'égorgée, qui confirment chaque fois qu'elle est le seul pouvoir à prétendre se réguler seule et à pouvoir faire les réponses et les questions, sans contradicteur effectif. À ce sujet, je renvoie donc à ce que j'avais synthétisé de ce phénomène paradoxal et nouveau dans l'histoire de nos libertés de pensée, la "Médiacratie", dans mon ouvrage de 1986, La Passion du politique : le Quatrième Pouvoir est e seul pouvoir à tout pouvoir contre tous les autres sans qu'aucun ne puisse rien sur lui. Si bien que, de liberté qu'il est, il a secrété une menace contre l'équilibre des pouvoirs. Autant le citoyen que nous sommes peut, par son vote, congédier l'homme politique qu'il réprouve ; autant nous n'avons aucun moyen de retour ni de prise critique sur le journaliste médiateur, qui est nommé par ses pareils. La reproduction de caste les menace, avec ce que cela suppose de reproduction du discours, et de lutte contre le pouvoir politique, plus fragile car électif. Le fait est qu'en trente ans de pouvoir spectaculaire croissant, les médias en sont venus à servir aux citoyens une moquerie a priori de l'homme politique, comme si cela allait sans dire, comme s'il était redevable du dénigrement. Mais qu'est donc un homme politique sinon notre représentant ?... Il est sur le plateau de télévision parce qu'une majorité d'entre nous l'a voulu. Qu'est-ce qui nous est signifié lorsqu'on trouve normal et libertaire, et même drôle, que l'homme politique soit livré en pâture aux libellistes qui concluent invariablement et grassement, de longues émissions politiques ? Nous sommes contraints de voir notre représentant politique lui-même contraint d'accepter avec le sourire d'être stigmatisé a priori, autrement dit dans sa fonction même. Quelle profession connaît cela ?Qu'est-ce que cela veut dire de présenter comme allant de soi qu'une catégorie sociale doive être a priori soupçonnée, maltraitée ? C'est nous inviter, nous téléspectateurs-électeurs - que j'ai nommés "télecteurs" -, à nous moquer de nous-même en moquant un de nos représentants choisis à au moins 50,01 % d'entre nous. Seulement voila : ce jeu médiatique joue sur le velours du populisme, qui a toujours aimé qu'on livre "la classe politique" en pâture. Le peuple est donc d'emblée d'accord - peuple du comptoir en nous - avec le crachat qu'il subit."