Feuilleton intellectuel Domecq, 1èr épisode : "MÉDIACRATIE" - extrait de La Monnaie du temps (2018, éd. Pocket), avec citation d'idées énoncées en 1986 dans la Passion du politique, éd. du Seuil : 
"Inutile donc que la presse pousse d'emblée des cris d'égorgée, qui confirment chaque fois qu'elle est le seul pouvoir à prétendre se réguler seule et à pouvoir faire les réponses et les questions, sans contradicteur effectif. À ce sujet, je renvoie donc à ce que j'avais synthétisé de ce phénomène paradoxal et nouveau dans l'histoire de nos libertés de pensée, la "Médiacratie", dans mon ouvrage de 1986, La Passion du politique : le Quatrième Pouvoir est e seul pouvoir à tout pouvoir contre tous les autres sans qu'aucun ne puisse rien sur lui. Si bien que, de liberté qu'il est, il a secrété une menace contre l'équilibre des pouvoirs. Autant le citoyen que nous sommes peut, par son vote, congédier l'homme politique qu'il réprouve ; autant nous n'avons aucun moyen de retour ni de prise critique sur le journaliste médiateur, qui est nommé par ses pareils. La reproduction de caste les menace, avec ce que cela suppose de reproduction du discours, et de lutte contre le pouvoir politique, plus fragile car électif. Le fait est qu'en trente ans de pouvoir spectaculaire croissant, les médias en sont venus à servir aux citoyens une moquerie a priori de l'homme politique, comme si cela allait sans dire, comme s'il était redevable du dénigrement. Mais qu'est donc un homme politique sinon notre représentant ?... Il est sur le plateau de télévision parce qu'une majorité d'entre nous l'a voulu. Qu'est-ce qui nous est signifié lorsqu'on trouve normal et libertaire, et même drôle, que l'homme politique soit livré en pâture aux libellistes qui concluent invariablement et grassement, de longues émissions politiques ? Nous sommes contraints de voir notre représentant politique lui-même contraint d'accepter avec le sourire d'être stigmatisé a priori, autrement dit dans sa fonction même. Quelle profession connaît cela ?Qu'est-ce que cela veut dire de présenter comme allant de soi qu'une catégorie sociale doive être a priori soupçonnée, maltraitée ? C'est nous inviter, nous téléspectateurs-électeurs - que j'ai nommés "télecteurs" -, à nous moquer de nous-même en moquant un de nos représentants choisis à au moins 50,01 % d'entre nous. Seulement voila : ce jeu médiatique joue sur le velours du populisme, qui a toujours aimé qu'on livre "la classe politique" en pâture. Le peuple est donc d'emblée d'accord - peuple du comptoir en nous - avec le crachat qu'il subit."

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