Feuilleton intellectuel Domecq, 2ème épisode : extrait de La Monnaie du Temps, éd. Pocket, 2018 :
…"Néanmoins, au fil du temps de ce jeu de pouvoir, le peuple s'est rendu compte que c'en est un, justement, de jeu de pouvoir : le Quatrième pouvoir soumet le pouvoir politique élu à son pouvoir non élu. Non élu et rémunéré par des groupes économiques qui n'achètent pas les médias pour qu'ils ne nous servent pas le discours idéologique qui sert leurs intérêts. Cela paraît grossier à rappeler, comme toute évidence de base, mais à la place de Bouygues et tous les créanciers nous ferions de même. Leurs journalistes disent ce que leurs créanciers veulent qu'ils disent. Ajoutons à cela une autre évidence oubliée, que « medium is message», selon la formule de Marshall McLuhan ; et on a la conjonction parfaite d'une émission d'idéologie qui domine par les moyens financiers qui l'investissent, et d'une logique professionnelle que son autoreproduction protège de toute critique, alternative ou contradiction. C'était avéré dès les années 1980 : « "Les médiateurs-journalistes ne sont plus en situation de dialogue. Ils n'ont pas de répondant. Qui en effet pourrait bien remettre en cause leurs questions et les conclusions qu'ils font circuler sous forme de "petites phrases", volatiles mais combien répétitives ? Les hommes politiques ? Évidemment non. (...) À l'égard des médias, les hommes politiques ne peuvent exercer le droit à la critique sans encourir le soupçon de censure." » (cf. La Passion du politique, 1986) Invariablement, à l'égard des critiques dont elle peut faire l'objet, la presse réagit comme une profession qui serait au-dessus des autres - une prêtrise, autrement dit. Elle n'entend que ce qu'elle veut bien entendre afin de continuer à exercer son pouvoir, et c'est ainsi qu'elle reproduit la Liberté sans choix dans laquelle elle enferme nos représentants politiques et, avec eux, nous-mêmes. Elle s'est pourtant étonnée de l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, au cours d'une campagne où il a constamment bafoué le discours médiatique mainstream. L'outrance même de sa rhétorique, la vulgarité assumée et "naturelle" de ses répliques, l'irresponsabilité politique qu'on lui reproche à juste titre, expliquent largement son élection : c'est le Fou du Roi fait roi par une opinion qui en a assez que les médias formatent son opinion et lui répètent que la politique ne peut plus rien. (...) En ce sens, le candidat Emmanuel Macron fut symbolique de ce mépris de l'intelligence civique lorsqu'il préserva le flou de son programme jusqu'à un mois avant l'élection, pour ensuite dérouler un programme qui ne pouvait que satisfaire le statu quo, lequel pouvait d'autant mieux passer que le "programme" de réformes qu'a fini par proposer Macron ne vise qu'à huiler le système. En ce sens, il a joué le jeu du modérantisme inhérent à la Liberté sans choix que dispensent les médias au service de la perpétuation de l'état des choses économiques. « "Dernier en date du conseil de communication : il faut être absolument modéré pour être absolument moderne. (…) La modération n'a jamais été qu'un ton sans préjudice de contenu, comme le centre n'a jamais été qu'une position stratégique. (...) Le propos à tenir pour être au centre et modéré dépend totalement des opinions concomitantes. Qu'est-ce qu'être modéré quand, dans les années 1930 en Allemagne, les suffrages populaires font pencher les opinions vers l'extrême droite ?" » (La Passion du politique) Exemple savoureux : depuis les trente ans qu'ont pris ces lignes, Silvio Berlusconi est commenté comme un leader "du centre droit", à présent qu'il est doublé par les autres formes de populismes que le sien… » (La Monnaie du temps, chapitre « Ce qu’il fallait faire en 2017…et qui donc reste à faire »)

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