(paru dans Libération le 14 juillet 2011)
DSK, Shakesperare & Cie
par Jean-Philippe Domecq
En deux mois de spectacle, elle et lui ont dit: «Guilty. - Not guilty.» Il y a un n° de chambre, 2806. Et, derrière le n°: FMI en lettres capitales + les syllabes d’un nom d’Afrique. Et une porte devient écran de projections grand format. A chaque époque son Affaire, comme en leurs temps Stavisky, Salengro, Dreyfus.
Sur le plan du feuilleton fantasmatique, d’abord. Justice et presse ayant vocation à chercher la vérité, le récit est tendu par l’illusion qu’au bout du compte « on saura », ou qu’«eux seuls savent ce qui s’est passé». Comme si, entre deux êtres, quatre bras et quatre murs, tout ne commençait pas par un quiproquo; ensuite, on voit. Là, le quiproquo, fort lourd, a vite viré au face à face. C’est l’hypothèse la plus probable, depuis le début.
Sur le plan de l’image du pouvoir, Shakespeare, qui déjà aurait traité Nixon banderilles aux flancs pissant le sang du Watergate mais s’accrochant de toutes ses dents au Bureau ovale un an et demi durant, aurait trouvé l’inverse en Strauss-Kahn: voici un homme qui n’a plus qu’à fermer la main sur le pouvoir et qui, en vingt minutes, fout tout en l’air en foutant (qu’il y ait eu «intercourse», selon le mot que refusa Clinton en interrogatoire mondial sur ce qu’il a fait avec Monica, paraît acquis dans le cas de DSK, vu l’euphémisme bien coupé de son avocat: «Il ne s’est rien passé de mal dans la chambre»…). En préfreudien qu’il fut dès Hamlet et son triangle oedipien, Shakespeare montrerait ce que s’est fait DSK: d’un coup écraser son Moi, son destin, entre la pulsion qu’il a laissé remonter dru et son Surmoi, qu’il a puissant, à la puissance mondiale même puisqu’il fut l’intelligence suprême et travailleuse du FMI, que les naïfs de gauche stigmatisent, oubliant que cette ONU de l’Argent est un des moyens que les hommes se sont donné pour maîtriser l’Argent, ladite maîtrise restant l’un des deux axes de définition de la gauche.
Le deuxième étant l’émancipation. Or, sur cet axe, le couple DSK/Anne Sinclair nous rappelle qu’il n’y a pas de modèle en amour, qui s’invente à deux. On dira ce qu’on voudra, que l’épouse fait ce qu’elle peut et habilement, etc.; n’empêche qu’elle le fait, et qu’elle sait, a toujours su comment est son époux. Ce n’est donc pas que tactique lorsqu’elle dit qu’il est «franc». Le reste ne nous regarde pas, contrairement à ce que croit la droite qui, elle, pense par modèles quitte à tricher avec. Premier ministre en tête, elle a rabâché que la gauche n’avait plus la morale pour elle; à l’Assemblée nationale il suffisait qu’un député socialiste s’étonne que le ministre du budget propose un nouvel abattement en sus de l’allègement de l’Impôt sur la Fortune pour que les bancs de droite scandent «Ouh, la morale!» Parlons-en: le 21 avril DSK en taxi concerte par portable ce qu’il dira sur les plateaux TV à 20h: «Toute la gauche derrière Chirac contre Le Pen au 2ème tour». La nation avant son camp. On cherche en vain pareil réflexe vertueux dans les consignes de vote de la droite deux mois avant la faute de DSK.
Ce 14 mai néanmoins, il a fait gagner la gauche en mai 2012. Mieux valait qu’il s’étale avant d’offrir sur un plateau son étalage de fric à la droite: «décomplexer» le rapport à l’argent est bien beau, sans oublier qu’à cet égard la différence entre gauche et droite est entre proportion et illimité.
Mais il paraît qu’avec tout cet étalage, New-York se sent à la pointe du glamour. Alors!…
(paru dans Libération le 11 août 2011
Et l’avant-garde devint officielle
Par Jean-Philippe Domecq, écrivain*
Cette année marque le centenaire de la naissance de Georges Pompidou et on peut lire, en grand sur la façade du Centre qui porte son nom: «L’art doit discuter, doit contester, doit protester.» La phrase, qu’il prononça le 11 décembre 1969 en lançant son projet d’institution culturelle, confirme que ce président était connaisseur. Comme les artistes qui le recevaient volontiers (et indépendamment de leurs différences d’opinion avec lui), il savait que l’art moderne avait sans relâche discuté les codes, contesté la tradition, protesté contre l’ordre, culturel ou autre. C’était le ressort de l’idéologie esthétique nommée avant-garde - qui sur le plan politique produisit certaines choses… Mais, lorsqu’un chef d’Etat l’édicte, c’est que la dynamique n’y est plus. Sort dévolu, du reste, à tout mot d’ordre, et l’avant-garde n’y a pas échappé. Dans l’exacte formule pompidolienne, ce n’est pas le président qui pose problème mais le verbe «devoir», qu’il a repris en toute intelligence de cause: les avant-gardes successives l’avaient tant et si bien répété, qu’à la fin ce «doit» tue les trois verbes qui le suivent. La révolte était devenue impératif catégorique; Pompidou entérinait le pompiérisme d’avant-garde. Ç’en était déjà fini de la lignée des avant-gardes libératrices qui, de l’abstraction au fauvisme jusqu’au situationnisme et la Figuration narrative en passant par le cubisme, le surréalisme ou l’action painting, avaient eu ample matière à contester. Persister, c’était reproduire, s’académiser. Pour être reconnu, il n’a plus suffi que d’afficher sa rupture. C’est ce qu’ont illustré, ce qui s’appelle illustré, les artistes français dont la reconnaissance a suivi la création du Centre Pompidou. N’est-ce pas afficher le signe et rien que le signe bientôt logo de sa petite rupture pour la rupture, que de répéter les mêmes rayures des décennies durant, tout en théorisant à l’envi qu’elles sont un moyen de contester les conditions d’exposition traditionnelles et de sortir l’art des murs: voilà Buren, qui habilement ressassa qu’il était critiqué au même titre qu’avant lui les grandes avant-gardes. Tour de passe-passe sophistique auquel se sont laissé prendre ce que Lautréamont en son temps appelait les «têtes molles». Quand un artiste nous ouvre l’œil et l’esprit, il a rompu en pensant et formant, sans le programmer. Et, autre exemple combien symbolique: le doré Pot géant de Jean-Pierre Raynaud trôna huit ans sur le parvis du Centre Pompidou!... Un Pot de jardin, cela ne s’était jamais fait, en grand; et cela fait-il assez nain comme tradition contestée, comme envergure créatrice?
Que l’art contribue à l’aménagement du territoire mental, social, aucun chef d’Etat n’y a jamais vu d’inconvénient.
* Dernier ouvrage paru: Nouvelle introduction à l’art du XXe siècle - l’Art du Contemporain est terminé, édition Pocket.
Et l’avant-garde devint officielle
Par Jean-Philippe Domecq, écrivain*
Cette année marque le centenaire de la naissance de Georges Pompidou et on peut lire, en grand sur la façade du Centre qui porte son nom: «L’art doit discuter, doit contester, doit protester.» La phrase, qu’il prononça le 11 décembre 1969 en lançant son projet d’institution culturelle, confirme que ce président était connaisseur. Comme les artistes qui le recevaient volontiers (et indépendamment de leurs différences d’opinion avec lui), il savait que l’art moderne avait sans relâche discuté les codes, contesté la tradition, protesté contre l’ordre, culturel ou autre. C’était le ressort de l’idéologie esthétique nommée avant-garde - qui sur le plan politique produisit certaines choses… Mais, lorsqu’un chef d’Etat l’édicte, c’est que la dynamique n’y est plus. Sort dévolu, du reste, à tout mot d’ordre, et l’avant-garde n’y a pas échappé. Dans l’exacte formule pompidolienne, ce n’est pas le président qui pose problème mais le verbe «devoir», qu’il a repris en toute intelligence de cause: les avant-gardes successives l’avaient tant et si bien répété, qu’à la fin ce «doit» tue les trois verbes qui le suivent. La révolte était devenue impératif catégorique; Pompidou entérinait le pompiérisme d’avant-garde. Ç’en était déjà fini de la lignée des avant-gardes libératrices qui, de l’abstraction au fauvisme jusqu’au situationnisme et la Figuration narrative en passant par le cubisme, le surréalisme ou l’action painting, avaient eu ample matière à contester. Persister, c’était reproduire, s’académiser. Pour être reconnu, il n’a plus suffi que d’afficher sa rupture. C’est ce qu’ont illustré, ce qui s’appelle illustré, les artistes français dont la reconnaissance a suivi la création du Centre Pompidou. N’est-ce pas afficher le signe et rien que le signe bientôt logo de sa petite rupture pour la rupture, que de répéter les mêmes rayures des décennies durant, tout en théorisant à l’envi qu’elles sont un moyen de contester les conditions d’exposition traditionnelles et de sortir l’art des murs: voilà Buren, qui habilement ressassa qu’il était critiqué au même titre qu’avant lui les grandes avant-gardes. Tour de passe-passe sophistique auquel se sont laissé prendre ce que Lautréamont en son temps appelait les «têtes molles». Quand un artiste nous ouvre l’œil et l’esprit, il a rompu en pensant et formant, sans le programmer. Et, autre exemple combien symbolique: le doré Pot géant de Jean-Pierre Raynaud trôna huit ans sur le parvis du Centre Pompidou!... Un Pot de jardin, cela ne s’était jamais fait, en grand; et cela fait-il assez nain comme tradition contestée, comme envergure créatrice?
Que l’art contribue à l’aménagement du territoire mental, social, aucun chef d’Etat n’y a jamais vu d’inconvénient.
* Dernier ouvrage paru: Nouvelle introduction à l’art du XXe siècle - l’Art du Contemporain est terminé, édition Pocket.
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