En intégrale sur le site de la revue ESPRIT, 20 avril 2025:

La Phrase de Trump
Les déclarations de Donald Trump sur le bombardement russe de Soumy confirment certains traits les plus inquiétants de cette présidence : l’ignorance à la fois intellectuelle et morale des faits, une régression du langage comme de la pensée, qui appellent à situer la résistance sur ce plan.
De toutes les déclarations dont le président américain Donald Trump a quotidiennement rythmé le monde et nourri ses électeurs en trois mois d’exercice du pouvoir, celle du 14 avril 2025 pourrait rester comme le condensé de la nouvelle violence politique qu’il aura su introduire dans l’histoire humaine. Ce chef d’État avait certes dépassé, depuis longtemps et de très loin, l’imaginaire de vulgarité jamais atteint en politique. On ne citera, pour s’épargner, que son « fucking losers » qu’il voua aux tombes des soldats américains morts pour libérer l’Europe du nazisme ; laquelle Europe réalisa l’Union européenne, selon lui, pour « en… les États-Unis ». Mais s’offusquer d’un irresponsable est vain s’il est en responsabilité par la volonté du peuple et pour la deuxième fois. Pour l’avenir, il est plus utile de saisir le nerf psychopolitique de la décivilisation que performe pareil verbe. La torsion mentale que Donald Trump impose est au fond de sa vulgarité stylistique, comme va le confirmer l’analyse de son communiqué réagissant au bombardement russe de Soumy, qui a causé 35 morts et 117 blessés ukrainiens : « Le président Zelensky et l'escroc Joe Biden ont fait un travail absolument horrible en permettant à cette tragédie de commencer. »
La déviance programmée
Le premier trait caractéristique de cette déclaration est dans ce qui est dit, qui est énorme, et ce qui est tu, qui est vrai : deux coupables sont désignés, aucun ne l’est des responsables de la frappe. La plus meurtrière depuis des mois, et qui intervient après la visite de l’envoyé spécial de Trump à Moscou. Ladite visite ayant été qualifiée de « très positive » par communiqué, le bombardement russe l’a confirmé en conséquence, selon une articulation bien huilée entre langage verbal et langage armé. Articulation contradictoire qui permet que les « pourparlers » de paix avancent pour ne pas avancer, jusqu’à ce que la partie russe obtienne ce qu’elle négocie inconditionnellement : la capitulation de l’Ukraine de crainte de sa contagion démocratique, soit la victoire de l’autocratie sur le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » selon le principe anticolonialiste que les intellectuels « poutino-nuancés » ont quelque peu oublié. Le lecteur aura remarqué les affirmations négatives : avancer pour ne pas avancer, négocier inconditionnellement. On est dans la mauvaise foi constitutive de la culture diplomatique russo-soviétique. Trump l’ignore dans les deux sens du terme, cela fait sa force et sa faiblesse. Premier sens et sa faiblesse : manifestement peu cultivé, ce président ignore que la rouerie de l’école diplomatique russe est la meilleure du monde, inégalable. Face à elle, Trump garde son jargon superlatif de showman médiatique, qualifiant volontiers Vladimir Poutine de « généreux » et « fiable » (sic). Mais, et c’est sa force, son ignorance est également psycho-tactique : Donald Trump est un homme exceptionnel par sa capacité à ignorer ce qu’il ne veut pas voir et ce qui le dérange.
Ce n’est plus là une limite intellectuelle, mais morale. Si la morale en effet requiert pour chacun de tendre vers l’équidistance entre soi et autrui (suite sur le site d'ESPRIT).............................................................