(Paru dans Libération le 21 janvier 2013)
Obama, leçon de style
Par Jean-Philippe Domecq Ecrivain*
Que les Français aient plébiscité la réélection de Barack Obama, confirme certes son charme international mais dit aussi quelque chose de leur propre président, dont les décisions récentes ne méritent pas tant leur dépit. Ce quelque chose, c’est le style. On pense communément que le style n’est qu’image et rhétorique; oui, lorsqu’il n’est pas self-made. Tandis que née de soi, la classe hors-classe d’Obama se voit et s’entend en toute singularité universelle.
Physiquement, d’abord, à l’évidence: Barack Obama est élégant dans la coupe comme dans la chaloupe corporelle, féline, jusque dans l’assurance affichée. Son allure vestimentaire stricte, chemise blanche cravate, confirme que l’élégance sera toujours plus élégante que le dandysme, car, ne cherchant pas à se signaler, elle se distingue intimement, pour chacun qui la voit. Ce qui est hautement démocratique. Et, qui plus est, de gauche, si l’étymologie du mot aristocratie (correspondant au gouvernement des meilleurs) rappelle bien que l’élite est partout, en toute classe sociale et non en une, qu’elle soit de noblesse ou d’argent. Barack Obama, Noir élu, ne l’aurait jamais été s’il n’avait porté la grâce native et filtrée par le travail sur soi, que promet l’égalité des chances. Ajoutons qu’il a en commun avec la plupart des présidents et candidats américains à la présidence un jeu de comportement fait de décontraction mate qui semble sorti de l’Actors Studio et de l’imaginaire répandu par le cinéma américain. Même George W. Bush avait son déhanchement à la Paul Newman.
Et puis il y a le verbe. Les Noirs américains, de Martin Luther King à Barak Obama en passant par Malcom X, sont les grands orateurs de l’Histoire récente. C’est qu’ils croient à la valence des mots, à leur effet fédérateur d’énergies collectives - et, au fond, qu’est-ce que le discours politique doit faire d’autre?
Dans l’allocution de Barack Obama la nuit de sa réélection, on retrouve sa maîtrise d’élan, ce calme à haute tension, dont tout chef d’Etat peut faire usage. « Les campagnes électorales peuvent parfois sembler mesquines, presque insensées » (notez la force de frappe ponctuelle: presque insensées). « Ce qui apporte de l’eau au moulin des cyniques qui nous expliquent que la politique n’est rien de plus qu’un combat d’ego ». Cet ego qu’on reproche aux politiques, lui le met sur la table, sans éluder. « Mais la politique n’a rien de petit, c’est grand. » De fait, elle passionne les citoyens lors même qu’ils la critiquent; c’est qu’en démocratie elle représente chacun par tous. Et Barack Obama d’enchaîner: « Nous voulons un pays qui ne soit pas affaibli par les inégalités ». Pas affaibli: le mot touche tous, même les plus aisés auxquels il signifie qu’eux aussi sont affectés, collectivement, si trop de citoyens tirent vers le bas. Puis Barack Obama misa de nouveau la question de la libido dominandi, pour affirmer qu’elle est nécessaire à son dépassement pour tous: « Nous ne sommes pas aussi cyniques que le disent les experts. Nous sommes plus grands que la somme de nos ambitions personnelles ». Ce en quoi il est bien de gauche. Quant à la l’envolée nationaliste, obligée: « Nous allons rappeler au monde… », Mitterrand en 1981 la concluait en termes analogues: «…le langage qu’il avait appris à aimer de la France ».
Rien n’a plus d’effet concret que le langage, verbal et comportemental; c’est vrai de la vie intime comme de la vie publique; et dans l’une et l’autre il ne s’agit plus de normalité.
* Dernier ouvrage paru: Cette obscure envie de perdre à gauche, éditions Denoël, 2012.
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