Feuilleton intellectuel Domecq, 4ème épisode : « Houellebecq ou le « néo-beauf » » - Extrait de La situation des esprits (réed. Pocket) :
Pour ceux qui en sont encore à Houellebecq, voici ce qu'on pouvait discerner dès 2002 :
« Houellebecq et « La Vie sexuelle de Catherine M. » en sont une illustration parfaite. Ils ont en commun un évitement systématique de la séduction, de ce qui plaît chez l'être que l'on se met à désirer. Ils décrivent ce qu'on se fait l'un à l'autre et surtout pas ce qui se passe pendant qu'on le fait. Alors que, en toute vérité d'expérience et d'écriture, il faudrait décrire et ce qu'on fait et l'effet que ça fait sur l'un et l'autre. Très puritains, donc, Houellebecq et Millet, à force de ne jamais décrire l'écho du désir et du plaisir amoureux. On dira que ce n'est pas ce que Houellebecq veut montrer. Faux : prenez « Plateforme », il n'y a aucune différence dans le mode de description des étreintes sexuelles entre la prostitution que pratique le narrateur et l'amour qu'il rencontre. Même mise à plat. C'est très révélateur. D'un dégoût. La chair reste de la chair. Or, tout n'est pas toujours froid dans le sexe, que l'on sache... Là, sa platitude de ton est, littéralement, déplacée. Son ton, qui consiste à tout niveler et qui peut avoir une certaine justesse quand il décrit les passions sociales d'aujourd'hui, sonne faux. Cela va de pair avec le sentimentalisme calculé qui sous-tend ses évocations de l'amour. Le miel va avec le fiel, c'est connu, le sentimentalisme avec la froideur de sentiments. (...) Enfin, toute cette exégèse autour de Houellebecq célinien fait involontairement du « Contre Sainte-Beuve » à l'envers : oui, Houellebecq singe le glauque, et comme on ne doit pas confondre l'homme et l'œuvre, eh bien, plus l'auteur est glauque-petit, plus nous fermerons les yeux sur ses déclarations et les ouvrirons grands sur son œuvre. Voyez Céline, jobard en tant qu'homme et génial écrivain. En réalité, lorsque l'auteur Céline s'est de lui-même confondu avec son narrateur Bardamu, on a cessé d'être dans le « Contre Sainte-Beuve ». Et rejouer Houellebecq après Céline, c'est répéter la tragédie en farce. (...)
La table rase de toutes les émancipations
Et puis, la commode analogie avec Céline pointe sur une autre raison, plus profonde, du succès de Houellebecq. C'est le baisser-de-bras, l'auteur qui s'autorise toutes les bassesses idéologiques. Ce que n'a pas fait Céline tant qu'il a maintenu la distance entre son narrateur Bardamu et lui. Le jour où il les a confondus, Céline a sorti son fonds de commerce idéologique, et on a vu. Avec Houellebecq, c'est le révisionnisme généralisé qui caractérise notre époque. »
2 commentaires:
Admirable tribune, mon cher Domecq, contre le Trumpiste desséché, le mal blanc de la répugnance à toute ingénuité, la bestiole immonde sérotonée.
Johan Frederik Hel Guedj
Et toc!, n'est-ce pas, "Pierre-A", qui devrait signer son si pertinent commentaire. J-Ph.Domecq
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