Oppression de ce côté, persécution au-delà.


20 décembre 2021 en visioconférence de 18 à 20h

 Quelle géopolitique de nos solidarités au PEN Club ?

Liberté d’expression et esprit critique

Allocution introductive de Jean-Philippe Domecq :

Ce soir donc, le PEN Club français parachève son année de centenaire qui fut riche en débats et tables-rondes tant sur la culture que sur la liberté d’expression. La discussion sera d’autant plus ouverte qu’elle l’est en permanence au sein de notre PEN Club ; ce que je vais vous résumer brièvement n’est donc qu’une voix parmi d’autres. Il s’agit de mettre à jour les principes qui sous-tendent nos interventions sur les plans national et international, les principes étant nécessairement évolutifs au rythme du monde. 

National et international, et aussitôt ces deux plans font discerner deux situations des droits humains : il y a la persécution, et il y a l’oppression. Le PEN Club a pour charte et mission première de défendre la liberté d’expression partout où elle est persécutée. Mais, s’il n’y a pas persécution dans les pays d’état de droit, il peut y avoir oppression. Sur ce plan le PEN Club français a des alertes particulières à soumettre aux autres PEN Clubs nationaux et à l’opinion publique, parce que la France est à la pointe d’une oppression qui étonne les autres nations. Ce pays, comme aucune autre démocratie, a déjà la spécificité de confondre de gros intérêts privés avec les structures publiques et les canaux médiatiques dans sa promotion d’une production artistique et littéraire qui peut ainsi bloquer la liberté d’évaluation critique à son égard. On n’en donnera qu’un exemple aisément perceptible : lorsqu’au nom de la solidarité internationale, qui nous concerne en tant que citoyens du monde, un artiste américain, Jeff Koons, offrit une sculpture à Paris meurtri par les attentats terroristes, il fut possible de signifier que ledit cadeau était encombrant par son poids à la tonne, ce qui n’est pas un argument esthétique, mais pas qu’il l’était par sa lourdeur formelle et donc par le décalage béant et blessant entre la puérilité esthétique de l’œuvre et ce dont elle était censée consoler Paris. Ce ne fut pas possible au nom de la liberté d’expression, pierre angulaire de notre Etat de droit évidemment, mais doit-elle être absolutisée au point de museler la liberté d’esprit critique tout autant fondatrice de nos droits ? C’est au point que nos représentants politiques sont priés d’accepter et de se taire, sous peine d’être accusés d’ingérence. Interdit-on au ministre de l’économie de s’opposer à la fermeture d’une usine ? On pourrait multiplier par centaines les exemples frappants de ce jeu devenu pervers qui involue la liberté en oppression culturelle. Si en Hongrie le gouvernement nationaliste a décidé de surveiller ce qui s’exposera ou pas dans les lieux d’art publics, force est de constater qu’en France la collusion entre de grandes fortunes et les institutions, la presse et les médias où ces fortunes ont leurs actions, restreint considérablement et écrase l’offre ; le système de François Pinault ne passerait pas dans certaines autres démocraties. C’est une part de ce que l’on peut appeler l’âge de la liberté sans choix, avec la Culture contre la culture. La question, pour être culturelle, n’est pas mineure ; la France n’aurait pas dû oublier que les romans idéologiques d’avant-hier préparent l’opinion aux pamphlets d’hier qui imposent leur délinquance intellectuelle au débat politique d’aujourd’hui.

Ce qui nous amène à plus grave car concernant toute l’information. Ce pays a vu la mainmise de puissances d’argent sur tant de médias, que le but idéologique de cette mainmise se voit à ses dégâts désormais irrémédiables. D’un mot que tout le monde constate en vain : l’empire médiatique concentré par telles grandes fortunes a imposé au débat politique un détournement de la fondamentale question de politique socio-économique vers celle des flux migratoires. Ce type de détournement est vieux comme la stratégie de tous intérêts d’argent, mais n’est guère signalé, donc encore moins publiquement déconstruit, au motif que parler des « puissances de l’argent » serait d’un autre âge… Le PEN Club français estime donc de son devoir de demander aux forces politiques d’expliciter leur programme pour veiller à un retour de la pluralité des opinions par la pluralité des canaux d’information.

Sur le plan international à présent, où s’exerce notre mission prioritaire. Tous communiqués et interventions en liaison avec les autres PEN Clubs nationaux impliquent évidemment une préconception géopolitique des forces en présence dans le monde. L’alerte pour défendre les auteurs et citoyens persécutés dans leur droit d’expression est informée, et cette année nos tables-rondes sur les Ouïghours, le Maroc, l’Algérie, la Turquie, tant d’autres, hélas, ont permis d’intervenir ponctuellement ; et le Ministère des Affaires étrangères a prêté attention et main forte aux cas qu’Antoine Spire, notre Président du PEN Club, a pu exposer. Mais, la collecte informée des faits est déséquilibrée puisque les nations d’Etat de Droit ont le droit et les moyens de dénoncer leurs propres fautes à cet égard, tandis que les autocraties, empêchant la libre information, font disparaître la plupart de leurs faits et méfaits. Cela conduit à une critique unilatérale des démocraties. Et cela masque un européocentrisme inaperçu puisqu’il laisse entendre que les régimes oppresseurs et peuples opprimés, corrupteurs et corrompus, le sont par culture. Tout homme est corruptible et c’est parce que les peuples des nations aujourd’hui démocratiques se sont battus et se battent contre cette disposition tristement universelle, qu’il y a beaucoup moins de corruption dans ces nations. De même que c’est en fonction de « l’insociable sociabilité de l’homme » et de tous les hommes, énoncée par Kant, qu’on a pu fonder philosophiquement l’O.N.U., de même est-ce en fonction de cela que nous devons demander aux pays qui font la leçon à nos démocraties, de donner leur exemple. Dans la situation présente, il y a bel et bien des nations dont le programme géopolitique est l’implosion des Droits de l’homme ; ils méritent que l’on explicite leur géopolitique implicite. Nous pensons notamment au projet géopolitique de la Russie. Notre optique, autrement dit notre préconception, doit être ferme dans la pesée et la nuance. On ne l’a pas constaté en août 2021 : force est de constater que le progressiste Président américain Joe Biden fut mille fois plus critiqué que la minorité afghane au pouvoir qui a volé à son profit les massifs investissements que les nations démocratiques avaient produits pendant vingt ans pour l’éducation, les universités, la santé, les infrastructures, le développement et l’initiative économiques ; ces investissements n’étaient pas utopiques puisqu’en ce moment tant d’Afghanes et d’Afghans font preuve d’une résistance admirable au nom des Droits de l’Homme et de la Femme. Terminons en saluant leur exemple civilisationnel. Et ouvrons le débat, la parole est à Antoine Spire.  


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